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Ce qui suit est extrait de la montagne de courriers que j'adressai, autrefois, à l'ensemble du Landerneau politique français. Nous sommes au printemps/été de cette fameuse année 2005, qui verra les banlieues françaises flamber les unes après les autres, à la suite de la mort de deux adolescents dans un transformateur. Je revois encore les mines défaites de maints élus, découvrant les images de leur propre ville à la télévision, et j'avoue m'être demandé si certains de ces élus vivaient réellement dans la ville qu'ils étaient censés administrer, tant ils me donnaient l'impression de marcher à côté de leurs pompes.

Le document qui suit figure, donc, dans les archives de la totalité des partis politiques français. Il m'a valu quelques réponses visibles dans cette même rubrique.

 

Juin 2005

La plupart des jeunes des cités dites défavorisées ont surtout besoin de modèles et de discipline. Le problème est que les "grands frères" sont de bien piètres modèles, bien incapables de donner l'exemple, et surtout pas en matière de discipline !

Ce que l'on peut constater, et que moi j'ai pu constater, en plus de vingt ans, c'est que, dans certaines communautés, le niveau intellectuel moyen ne décolle pas : parents ouvriers ou manœuvres sans qualification, enfants au CAP, surtout chez les Africains ! Avec l'impression étrange que la proportion d'illettrés reste massive, le tout parce que l'immigration reste de bas voire de très bas de gamme. Donc, l'Afrique "exporte" surtout des paysans illettrés, qui vont plomber l'avenir de leurs enfants…

Du coup, j'ai l'impression de radoter, et je sais que peu de gens vont croire ce qui suit, mais c'est, malheureusement, rigoureusement exact : le fait est que, dans certains milieux, la réussite d'un cadet est vécue par ses aînés comme une véritable humiliation !

J'étais sûr que vous ne me croiriez pas ! Alors, laissez-moi vous expliquer.

Entre nous, quelle est la probabilité, pour un(e) gamin(e), né(e) en France, de parents africains modestes, de devenir médecin, architecte, ingénieur… ?

Facile !, me direz-vous. On fait des statistiques : on prend, au hasard, un contingent d'immigrés africains, et l'on regarde combien de leurs enfants ont fait la culbute, sur le plan intellectuel et social. Mais il paraît qu'en France, on ne connaît pas les origines ethniques, République oblige. Et la sociologie, alors ? Que fait-elle à longueur d'années et d'enquêtes, sinon de s'intéresser à la vie des gauchers, des droitiers, des forains, des cracheurs de feu, des collectionneurs de boutons de manchettes, etc. Et pourquoi les sociologues se verraient-ils interdire une enquête scientifique sur les chances de réussite scolaire des jeunes, en fonction du statut (tous éléments pris en compte, dont l'origine géographique) des parents ? Comment savons-nous qu'il y a moins d'enfants d'ouvriers dans les grandes écoles que dans les universités, sinon parce qu'on les a identifiés par rapport à la profession des parents !

Á mon petit niveau, lorsque je prends cent étudiants en D.E.A. ou thèse, nés de parents africains, je suis certain d'avoir autour de 98 passeports africains, ce qui veut dire que presque tous mes thésards sont étrangers. Mais si, à l'inverse, je prends cent adolescents en situation d'échec scolaire ou préparant un CAP, et nés de parents africains, je suis à peu près certain d'avoir entre 90 et 95 citoyens français ou en passe de l'être car nés en France !

On peut en déduire, à vue de nez, que le fait d'être né en France et, a fortiori, d'avoir la nationalité française, n'apporte aux jeunes "Africains" aucune garantie en matière de réussite scolaire. Tout se passe comme si l'élément décisif n'était pas le pays d'arrivée – en l'occurrence, la quatrième puissance du monde, avec un système scolaire réputé performant – mais la société d'origine des parents, en l'occurrence une communauté paysanne et illettrée du Tiers-monde ; tragique déterminisme sociologique ! En tout cas, le fait est vérifiable : c'est d'Afrique que viennent les émigrés les moins instruits, et ce sont les enfants de ces émigrés qui affichent les performances scolaires les plus faibles.

Mais alors, me direz-vous, nos thésards, dont on peut vérifier qu'ils sont majoritairement étrangers (nés de parents africains et ayant conservé leur nationalité d'origine), quelle est donc la profession de leurs parents ? Parce que si l'on arrive à démontrer qu'ils sont, dans leur immense majorité, d'origine modeste, voire paysanne, alors on se trouve en face d'une énorme énigme : des enfants de paysans africains réussiraient-ils mieux, dans leurs études, en venant en France comme étudiants, qu'en venant en France en bas âge, voire en naissant en France ?

Vous brûlez !

Je sais très bien qu'il y a de nombreux médecins, avocats, ingénieurs… français, d'origine africaine. Mais sont-ils nés en France ou sont-ils arrivés ici pour y faire leurs études supérieures ? Il me semble que l'immense majorité d'entre eux relèvent de la deuxième catégorie : venus en France pour y faire des études supérieures.

En d'autres termes, être fils ou fille de paysan(s) illettré(s) et naître en France, ce n'est pas l'idéal pour espérer faire des études supérieures, alors que nombreux sont les fils et filles de paysans illettrés africains, et nés en Afrique, qui ont fait de hautes études universitaires.

En tout cas, voilà une question qui mérite d'être creusée, et c'est précisément une des missions de la sociologie !

Il est vrai que nos thésards arrivent généralement en France avec un BAC, voire une licence, maîtrise… Ils ont, donc, derrière eux, une solide formation de base, acquise dans un système scolaire qui n'a rien de mirobolant. Il est vrai, aussi, que nos étudiants africains ont franchi le "cut", c'est-à-dire qu'ils appartiennent à la maigre frange de sujets qui ont échappé à l'enlisement général du système scolaire dans les pays africains.

Oui, mais comment ces enfants de petits fonctionnaires, d'ouvriers, voire de paysans africains, s'y prennent-ils pour réussir bien mieux que d'autres, de même origine, mais nés en France ? Peut-être parce qu'en Afrique, les paysans ont encore des valeurs, que ne partagent pas forcément les déracinés qui viennent s'entasser dans les quartiers populaires de nos villes européennes. Peut-être aussi parce que la structure familiale, basée sur l'entraide, fait qu'en Afrique traditionnelle, le paysan illettré pourra toujours compter sur un frère, un oncle, une tante… instruit(e)s, qui seront plus à même d'éduquer les enfants, alors qu'en Europe, ce même paysan va se retrouver livré à lui-même. Dans l'Afrique traditionnelle, la famille nucléaire n'existe pas. Voilà un début d'explication.

Par ailleurs, l'absence de consumérisme chez les paysans de la brousse (trop pauvres pour ça) pourrait constituer un autre début d'explication : voyez les femmes noires, en France, et la frénésie de consommation qui s'est emparée d'elles à propos de cheveux artificiels, produits éclaircissants, bijoux et autres colifichets… Comment voulez-vous que des ploucs (des gens qui ne sont pas à leur vraie place) grisés par la société de consommation et obnubilés par le toc et le tape-à-l'œil, puissent avoir le temps de s'investir dans l'éducation de leurs enfants ? Car la réciproque existe aussi.

Aux États-Unis, par exemple, ce sont les jeunes Asiatiques qui affichent les performances les plus élevées en matière d'ascension sociale (leur proportion dans les universités est nettement supérieure à ce qu'ils représentent dans la population générale) : les parents sont arrivés, par exemple, du Viêt-Nam ou du Laos, comme boat-people ; les premiers enfants vont exercer des boulots honorables (serveur, pompiste, chauffeur de taxi…) mais, dès la deuxième génération, bingo ! des ingénieurs, des musiciens concertistes, informaticiens, traiders à Wall Street, universitaires… ! En clair : les fils/filles aînés essuient les plâtres, maîtrisent mieux l'anglais et se substituent aux parents dans l'éducation de leurs frères/sœurs cadets à qui ils vont faire la courte échelle ! Et pour les connaître un peu, je dois dire que ces Asiatiques sont des modèles d'abnégation, d'altruisme et de stoïcisme ! Ce qui explique, du reste, que la vénération des ancêtres prenne une si grande place chez eux, même après des décennies d'"exil" occidental ! Des modèles d'intégration non-assimilatrice !

Chez les Africains que j'observe dans les banlieues, depuis plus de vingt ans, rien de tout ça ! On voit des aînés qui n'ont même pas décroché un CAP, et dont l'échec semble se répercuter automatiquement sur leurs cadets qui, à leur tour, se traînent lamentablement jusqu'à un hypothétique CAP ou BEP ! Bienheureux ceux qui poussent jusqu'au BTS, parce que ça voudrait dire qu'ils ont décroché leur BAC !

J'évoque, quelque part (…), le cas de cette jeune fille qui aurait voulu faire de longues études, mais qui a atterri dans une Seconde Professionnelle. Je sais bien qu'il n'y a rien d'infâmant à faire un CAP ou un BEP (Bocuse, les frères Trois-Gros et autres Yves Saint-Laurent ou Dior… sont là pour nous prouver que le travail manuel peut mener au très haut de gamme). Le problème se pose lorsqu'une catégorie de gens, voire toute une classe d'âge, se retrouve massivement dans ces filières, sans l'avoir vraiment voulu !

Je n'ai pas fini ma démonstration : là où je suis formel, c'est que l'échec des cadets est souvent souhaité par les aînés, qui s'épargnent, ainsi, des humiliations "inutiles". Mieux, ou pire : l'humiliation est d'autant plus durement ressentie que le cadet qui réussit est une cadette : ton grand frère n'a même pas son BEPC, tu ne vas tout de même pas devenir ingénieur ! Voilà le leit motiv qui s'insinue dans le crâne de ces jeunes. Honte à toi si tu es trop bon !

Vous ne me croyez toujours pas ?

Jean-Marie Cavada avait consacré une fameuse Marche du Siècle à ces gosses brillants, qui deviennent, subitement, mauvais en classe, pour ne pas dépareiller, au point que certains parents n'hésitent pas à changer leurs enfants d'établissement (mais cela ne vaut que chez les parents qui ont fait le pari de la réussite !).

En ce mois de juin 2005, deux jeunes filles ne sont pas rentrées de vacances au Sénégal (partir au Sénégal pour les vacances de Pâques, si près des grandes vacances, voilà qui est plutôt étrange !). Elles étaient en Seconde, pour la cadette, en Terminale Professionnelle pour l'aînée. Et c'est là que les parents choisissent de les expédier au Sénégal, sans retour, à quelques semaines de la fin de l'année scolaire. Et vous voulez me faire croire que ces parents ne se contrefichent pas de la scolarité de leurs filles ? Croyez-vous que ce père débile, aperçu, l'autre jour, au journal télévisé, souhaite voir ses filles atteindre un haut niveau intellectuel ? Il les veut aussi incultes que lui-même, pour pouvoir continuer à les dominer ; trop instruites, elles deviennent incontrôlables, ce qui fait qu'elles risquent fort de partir ailleurs, loin du clan, échappant à tout carcan, ce qu'il faut éviter à tout prix !

Vous allez me dire : mais c'est absurde ! Plus elles seront instruites, et plus elles gagneront de l'argent, donc pourront d'autant plus facilement entretenir leurs parents.

Oui, mais ça, c'est le calcul que fait quelqu'un d'intelligent, qui prévoit, spécule… Sauf qu'ici, nous avons affaire à des ploucs ! L'idée principale est que les filles restent soumises, et c'est en cela que je suis tout à fait d'accord avec l'analyse de l'association "Ni putes ni soumises", à ceci près que je dénonce, chez elles, une réelle mauvaise foi, lorsqu'elles mettent ce type de comportement sur le compte des seuls "grands frères", en omettant de signaler, comme je le fais, moi, que cela fait des victimes aussi chez les garçons, en clair, chez tous les cadets, que les aînés ne veulent pas voir monter trop haut, de peur de les voir s'émanciper un peu trop dangereusement, donc, de se libérer de la sphère d'influence patriarcale ou machiste.

Fort malheureusement, les enseignants n'aident pas toujours les jeunes. Allez dans une de ces banlieues défavorisées, et demandez à des jeunes ce qu'ils veulent faire plus tard, vous serez édifiés. Quand on s'appelle Mohammed, Samira ou Bineta, personne – je parle des professeurs des collèges – ne pense sérieusement que l'on puisse devenir médecin, ingénieur… De fait, il s'exerce sur ces jeunes une autre violence, psychologique et intellectuelle – issue, elle, du corps enseignant –, et dont personne ne parle, tant elle est sournoise et insidieuse : une violence de gens qui savent, qui détiennent le savoir, une violence qui décourage, relègue, condamne, ferme des portes ; une violence qui vous fait comprendre, de manière presque implacable, que toi, Samira, ta place est en CAP de coiffure, à la rigueur, en BEP de secrétariat-comptable, et que toi, Mounir, ta place est en CAP de tourneur-fraiseur, ou à la rigueur, en BEP de chauffagiste ! Je sais de quoi je parle ! Du reste, Jacques Chirac a évoqué l'intériorisation de cette loi non dite, dans un discours récent : certains jeunes finissent bel et bien par s'autocensurer en se persuadant que telle ou telle filière professionnelle, ce n'est pas pour eux (cf. le film récent Dans tes rêves, avec Béatrice Dalle et le rappeur Diziz la Peste, on y entend, notamment, ceci : (…) "Tu veux faire quoi ? Artiste ?! Oublie, oublie !").

Je relate, dans le Petit Courrier ci-joint, ma rencontre avec une jeune Sénégalaise, visiblement née en France. Je lui ai bien posé la question de confiance : qu'est-ce que tu fais actuellement dans ton lycée ? Vous savez ce qu'elle m'a répondu ?

Du coup, relégués en lycée professionnel, certains gosses deviennent méchants, à l'instar de cette jeune fille du Lycée La Tournelle (La Garenne - Colombes), il y a deux ans, qui a planté un couteau dans la jambe d'une prof de maths. Des années de haine et de rancœur accumulées. Je n'étais pas là, mais j'imagine la scène : le Nouvel Observateur a parlé d'un cours de maths sur les pourcentages ; les élèves (classe de 1ère) ont du mal (normalement, les pourcentages s'apprennent en 5ème , à la suite du chapitre sur la proportionnalité ; c'est un chapitre assez facile pour qui maîtrise le calcul fractionnaire et la quatrième proportionnelle ; seulement voilà : on est en "Première", et le cours est du niveau de la Cinquième !), alors la prof – probablement une brillante certifiée ou agrégée, qui devait se demander ce qu'elle faisait dans ce trou à rats ! – a dû pousser un coup de gueule devant cette bande de bras cassés et a décidé de leur imposer une interrogation écrite. Eclats de voix, protestations, et c'est là que Mlle X. sort son couteau !

 

       
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