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          Panier de crabes ou bouteille à l'encre ?

I

Il y aurait même un troisième choix : "usine à gaz" !

Il faut dire que, dans la série : "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?", l'Éducation Nationale française a fait très fort avec les innombrables réformes qui ont émaillé l'organisation des études au lycée.

À l'origine, on commençait par boucler son premier cycle avec le BEPC, en fin de Troisième des Collèges, puis l'on choisissait une filière en accédant au lycée. Nous sommes encore nombreux à avoir connu les quatre séries A (Lettres), B (Économie), C (Maths-Physique-Chimie), D (Sciences Naturelles). Il y avait un tronc commun et des enseignements optionnels basés sur la/les matières dominantes de chaque série. C'était simple et lisible. Mais il y eut encore plus simple, je pense aux temps anciens où un Albert Schweitzer, théologien, musicien, philosophe, bref, un littéraire, pouvait se lancer sans autre forme de procès dans des études médicales. Hé oui, ça a existé !

Mais il faut croire que tout ça était trop encore simple pour l'esprit biscornu de certains experts, qui ont multiplié àl'envi les formules, les combinaisons et les sigles, au point d'en avoir dégoûté certains élèves. Ainsi, donc, aux côtés des séries d'antan, rebaptisées L, ES, S et ? (pour l'ex-série D), on se retrouve, entre les filières générales et les filières technologiques, avec des séries STG ou STMG, STI, STI2D, ST2S, ST2A, STL, STAV, STD2A et j'en passe. J'avoue qu'il y a longtemps que j'ai renoncé à comprendre le sens de tous ces sigles.

Une des conséquences ou des illustrations de tout cet embrouillamini, c'est la déconfiture de la série littéraire, qui serait en train de s'étioler comme peau de chagrin. Sauver les lettres ? Cette bonne blague, quand on voit quelle dictature ces mêmes lettres exercent dans les programmes de français du collège et du lycée.


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Mais peut-être la déconfiture des Lettres en Terminale a-t-elle des raisons plus profondes, comme ce problème structurel que certains jeunes semblent avoir avec la maîtrise de la langue... (Cf. Le Parisien, 01.02.2005).


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Source

Dans les sciences et techniques, quand on se trouve confronté à un problème, par exemple une série de pépins sur un modèle automobile, la présence de bactéries dans un lot de rillettes, des traces d'hydrocarbure dans des bouteilles d'eau minérale, un accident d'avion, etc., on arrête la production de la marchandise, ou l'on rappelle les véhicules incriminés au garage, ou encore on récupère les boîtes noires pour les soumettre aux analyses les plus pointues, etc.

Ça c'est ce qu'on fait dans les sciences et techniques. Il faut, donc, croire qu'il n'y a ni scientifiques ni techniciens dans le milieu éducatif, où les mêmes problèmes sont signalés, année après année, et ce, depuis des décennies, sans que rien ni personne ne parvienne à les enrayer, à l'exemple de ces 15 % de jeunes qui sortent du primaire sans maîtriser le lu ni l'écrit, et ces autres 150.000 à peu près qui bouclent la période de l'instruction obligatoire, soit la fin du collège, sans la moindre formation consistante.

Il y a encore les enquêtes de l'OCDE, dites PISA, qui restent désespérément négatives pour le système éducatif français, jugé trop élitiste. Et toujours pas la moindre boîte noire d'analysée, malgré cette profusion d'agrégés et de docteurs ès... que le monde entier doit envier à la France. Mais il y a surtout les statistiques.

Citation, dans la rubrique "Les probèmes se règlent en amont...".

JJuillet 2007, cinq amis décrochent leur bac. Ils ont tous décidé de s’inscrire à l’université. Quelques mois ou quelques années plus tard, trois auront obtenu un diplôme de licence, les deux autres n’auront rien. Un "bac+ rien" comme disent les spécialistes de l’éducation, qui offrira sur le marché du travail moins de perspectives qu’un simple diplôme de l’enseignement secondaire. C’est cruel mais chaque année, c’est le destin de 90 000 étudiants. Ceux-ci ont de bonnes chances d’être titulaires d’un bac professionnel ou technologique, d’être des enfants d’ouvriers ou d’employés qui n’ont pas fait d’études supérieures. Souvent, ils ont redoublé à l’école, au collège ou au lycée. La première année de licence aura fait chez eux des ravages : seulement 47,5 % des étudiants passent en deuxième année, 30 % redoublent, 16,5 % se réorientent et 6 % arrêtent leurs études. "La difficulté aujourd’hui est moins d‘accéder à l’enseignement supérieur que d’y rester", souligne un récent rapport de l’Observatoire national de la vie étudiante.

Qui plus est, l’abandon n’est pas le seul indicateur de l’échec des premiers cycles. Pour la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, il se mesure aussi par le nombre d’étudiants "en retard". Or le constat n’est pas très brillant : l’âge moyen d’obtention d’une licence est de 23 ans et demi (21 ans, sans jamais avoir redoublé ou réorienté). En sciences humaines, il s’élève même à 24 ans et demi. Ce "retard" a un coût pour la France. Des étudiants déjà âgés lorsqu’ils obtiennent leur licence ne poursuivent pas en master et donc abaissent le niveau de formation moyen du pays. Quant au redoublement à la fac, il a un coût financier. Touchant 200 000 étudiants par an, il est évalué à un milliard d’euros. Le coût humain est lui aussi énorme. "Passer quatre ans à la fac sans obtenir de diplôme, ça marque. Les jeunes disent qu’ils en sortent détruits", rapportent les sociologues. (Source).

Dans ma pratique des cours particuliers et de la remise à niveau, j'avais coutume de commencer toutes mes intervention auprès des élèves (de lycée) et de leurs parents par ces mots : "le lycée n'est que la première année d'un cycle de cinq voire six ans, allant de la Seconde à BAC+2, soit le niveau BTS ou DUT, voire BAC+3 pour les filières universitaires (Licence).". Je voulais leur faire comprendre par-là qu'il ne fallait pas surtout pas se focaliser sur le BAC comme si c'était le stade ultime des études, mais viser beaucoup plus haut, et ce, dès l'accès à la Seconde.

Le fait est que j'ai toujours estimé l'enseignement au lycée totalement inadapté aux études supérieures, notamment universitaires. J'illustrerai mon propos par quelques exemples tenant à la discipline générale, à une forme de gavage des oies et à l'accès à l'autonomie.


1. La discipline générale

Dans quasiment tous les lycées où je suis intervenu au sein de l'équipe enseignante, j'ai constaté qu'un élève arrivant avec cinq minutes de retard, voire plus, était automatiquement dirigé vers un surveillant, voire un Conseiller Pédagogique ou tout autre responsable de la vie scolaire, avec inscription de la "peccadille" dans le carnet de correspondance et menace d'une sanction future (retenue ou colle après un certain nombre de retards). C'est encore le cas en Terminale, par exemple. Problème : une année après la Terminale, nos lycéens arrivent en FAC, où ils découvrent que, dans les amphis, personne ne vérifie qui est là ou non, dès lors qu'il n'y a pas d'appel, que les étudiants vont au cours s'ils veulent, assistent aux travaux dirigés ou non, bref, sont brusquement considérés comme des adultes censés se prendre en charge sans qu'il soit besoin de les materner, contrairement à ce qui se produisait encore l'année d'avant, au lycée.

Je ne suis pas certain que cette façon de materner les lycéens, encore appliquée de nos jours, soit la meilleure chose à faire pour les préparer au saut brutal que constitue l'arrivée dans ce monde d'adultes qu'est l'université !

Comment faire ? Peut-être commencer par considérer qu'en Terminale, un bon nombre des élèves ont passé leurs dix-huit ans et sont, donc, majeurs ! Ça veut dire adultes. Or, la sanction des études, en Terminale, est la réussite au Bac et rien d'autre, du moins me semble-t-il. J'estime, par conséquent, que l'effort pédagogique en cette dernière année de lycée devrait porter sur des considérations bien plus importantes, comme, par exemple, la capacité de prendre des notes dans un amphi plus ou moins bondé, au milieu de centaines d'autres étudiants, ce qui n'a plus rien à voir avec l'assistanat pratiqué par tant de profs de lycée, qui fait ressembler les lycéens à des oies qu'on gave.


2. Le gavage des oies

Chaque fois que j'ai eu l'occasion de travailler en cours particulier avec un collègien/lycéen, je prenais toujours un malin plaisir à lui demander, dès la première séance, où ils en étaient, en classe, sur quel chapitre de quelle matière. Et là, je voyais notre lycéen(ne) (ou collégien/ne, d'ailleurs) se précipiter sur un cahier de notes, pour vérifier. Et là, je l'arrêtais tout net : "Non, ce n'est pas le cahier qui m'intéresse, mais le dernier chapitre abordé dans le manuel...". Et là, on assistait à quelque chose d'extraordinaire : l'élève ne savait pas quel chapitre le/la prof avait dernièrement abordé dans le manuel de maths, de physique, d'histoire, etc. J'avoue que la chose me laissait toujours pantois.

Donc, on se reportait au cahier dans lequel étaient consignées les leçons. Et là, vous aviez des notes plus ou moins soigneusement rédigées, surtout chez les filles, avec cette belle écriture toute régulière qui les caractérise. Je veux dire par-là qu'elle donnaient toujours l'impression qu'on leur avait dicté un texte... Et ce n'était pas qu'une impression : il suffisait de comparer les notes de deux élèves différents pour constater qu'ils avaient plus ou moins consigné les mêmes phrases, avec plus ou moins de fautes de conjugaison, grammaire, syntaxe, etc., qui pouvaient complètement fausser le sens d'une phrase, sans oublier les "trous", parce qu'à un moment donné l'élève a perdu le fil de la "dictée"...

Ce qui veut dire que la plupart des professeurs de lycée en étaient/sont encore à dicter des textes entiers à des élèves gavés comme en Alsace ou dans le Périgord on gave les oies. C'est tout juste si certains sujets (élèves) scrupuleux ne poussaient pas la minutie jusqu'à consigner les râclements de gorge du/de la prof !

Et voilà ces mêmes lycéen(ne)s - les heureux élus ! - qui débarquent, un jour, en FAC, où les profs ne dictent plus rien mais tiennent une sorte de conférence, sans répéter la moindre phrase et en introduisant une multitude de digressions et d'incises dans leur discours. On imagine aisément la panique qui va s'emparer des sujets les moins aguerris, que l'on a habitués, au lycée, à la bonne vieille dictée...

J'invite ceux et celles que ça intéresse à s'en aller flâner, un jour, aux abords d'un grand site universitaire, comportant surtout des sections littéraires ou de sciences humaines. Dans ces quartiers (c'est particulièrement flagrant autour de la Sorbonne, à Paris) prolifère généralement un type de commerce : les boutiques de photocopie. Et pour peu qu'on aille jeter un oeil sur la clientèle de ces boutiques, on constatera qu'il s'agit bien plus souvent d'étudiants des premières années (licence) que de thésards. Et si l'on pousse encore un peu plus loin le souci d'investigation, alors on s'apercevra que le matériel photocopié consiste, dans 90 % des cas, en notes manuscrites de cours.

L'explication ? Une proportion notable des jeunes étudiants ne sait pas prendre de notes ; alors on s'organise en repérant quelqu'un de particulièrement doué dans cet exercice (c'est généralement une fille), et dont les notes vont être multi-photocopiées, au grand bonheur de toute une petite tribu de "glandeurs".

Et ce système va avoir une conséquence immédiate : dès lors que l'on a déniché des sujets doués pour la prise de notes, pourquoi diable se décarcasser à se lever, aux aurores, pour s'en aller se les geler dans un amphi mal chauffé ? Il suffit de s'organiser, au besoin, en rémunérant les préposé(e)s ) la prise de notes, et le tour est joué. Ce petit stratagème permet d'aller au cinéma, voire de s'offrir un petit job d'appoint. Il faut dire que les étudiants ne roulent pas sur l'or !

Si seulement on apprenait aux lycéens (voire aux collégiens !) à prendre des notes, en leur apprenant, par exemple, à repérer dans un énoncé les verbes d'état (qui n'apportent aucune information, hormis sur le temps de la narration) et les verbes d'action (lesquels sont vraiment porteurs d'informations)... Mais, surtout, un simple coup d'oeil dans les manuels permettrait aux élèves de constater que les cours délivrés par les profs sont souvent redondants, au moins à 90 %, avec les informations contenues dans les manuels, et qu'en épluchant ces derniers AVANT que le sujet ne soit abordé en classe (par exemple sous la forme de fiches de synthèse), on s'épargnait une pénible et fastidieuse prise de notes, car cette dernière ne se limiterait plus qu'aux nouveautés apportées par les profs par rapport au contenu des manuels (ex. découverte scientifique récente, nouvelle législation ou jurisprudence, etc.).

Le problème est que cette pratique du gavage des oies finit par avoir une incidence tout à fait fâcheuse sur le sens même des études supérieures, qui est ou aurait dû être de former des têtes mieux faites que seulement pleines, dans la mesure où les étudiants auraient dû apprendre à apprendre, autant dire apprendre à être autonomes.


3. L'accès à l'autonomie

Une conséquence du gavage des oies tel que pratiqué au lycée n'est pas seulement que les ex-lycéens ne comprennent pas pourquoi, à l'université, les profs "dictent aussi vite !", alors qu'il ne s'agit plus de dicter quoi que ce soit, mais surtout, que ces étudiants n'arrivent pas à comprendre que le cours magistral ne représente qu'une fraction de l'information qui leur sera réclamée par leurs enseignants lors de la passation des examens, en tout cas à l'université. Cest particulièrement vrai dans toutes les disciplines littéraires ainsi que dans les sciences humaines et le droit, où le cours dit magistral doit impérativement être complété de notes personnelles tirées d'une multitude de lectures et de recherches faites à partir des bibliographies généralement communiquées par les enseignants en tout début d'année universitaire ou dans le cadre des travaux dirigés.

L'expérience montre que les bibliothèques universitaires ne sont jamais prises d'assaut par les étudiants, dont un certain nombre croient que les trous existant dans l'emploi du temps (visiblement très allégé par rapport au lycée !) correspondent à des périodes de "far niente" censées être destinées à la fréquentation des cinémas ou au papotage dans quelque cafétéria. Le fait est qu'après la boutique de photocopie, la cafétéria voire le bon vieux café ou bistrot constitue la branche d'activité la plus répandue aux abords des universités, les librairies arrivant assez loin derrière.

On me dira qu'une réforme importante a institué, au lycée, les fameux TPE, à travers lesquels les élèves de Première et de Terminale s'initiaient au travail en équipe ainsi qu'à la recherche documentaire sur un sujet donné, dont l'aboutissement était la soutenance d'un mémoire devant un jury. Pour ma part, j'estime que l'innovation s'imposait. L'ennui fut de voir les TPE supprimés en Terminale, pour des raisons que j'ai du mal à comprendre, peut-être à cause de la préparation du sacro-saint Baccalauréat, alors même qu'on aurait pu envisager d'accorder un coefficient important aux TPE intervenant en Terminale en raison même de leur proximité avec l'accès aux études supérieures.

Les observations qui précèdent expliquent, selon moi, pourquoi l'échec en premier cycle universitaire atteint de tels sommets, passant de 20 % environ (ce qui est très élevé) dans une université cotée comme Paris IX-Dauphine, à près de 80 % dans une université moins sélective comme Paris VIII-Saint-Denis-Vincennes.

Mais on aurait pu également évoquer la culture générale, cette grande oubliée des programmes scolaires, à laquelle je consacre un chapitre particulier.

Par ailleurs, comment rester silencieux devant une certaine banalisation de la violence, notamment en Lycée professionnel, cette voie de garage où l'on envoie tous les éclopés et les sans-grade du système scolaire, qui le vivent ainsi, ce qui peut expliquer les accès de violence de certains.


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Lycée professionnel, Val-Fourré, Mantes-la-Jolie..., vous parlez d'une belle collection de stigmates !



       
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